Le 20 mars 2025, le tribunal judiciaire de Marseille a rendu une décision[1] inédite qui bouleverse les modes de preuve admis jusqu’à présent. À l’occasion de cette affaire les juges reconnaissent en effet l’utilisation de la blockchain comme un mode de preuve de la titularité de droits d’auteur.
• Qu’est-ce que la Blockchain ?
La « Blockchain » signifie, littéralement, une « chaîne de blocs ». La chaîne de blocs est une technologie de stockage et de transmission d’informations. En d’autres termes, il s’agit d’un registre ou d’une grande base de données, offrant de hauts standards de transparence et de sécurité[2].
• Les faits
En l’espèce, une société spécialisée dans la création artistique, l’achat, la vente et la distribution de vêtements de haute couture (ci-après « société AZ Factory ») intente une action en décembre 2022 contre une société exerçant une activité de commerce dans le textile (ci-après « société Valeria Moda »).
La société AZ Factory impute des faits de contrefaçon de droits d’auteur à la société Valeria Moda concernant certaines de ses créations. L’objet de ces prétendus actes contrefaisants sont des vêtements issus de collections nommées « Hearts from Alber » et « Love from Alber ». Ces collections ont la particularité d’être un hommage à un créateur de mode renommé, qui exerçait sous la marque AZ Factory. Cette sélection de prêt-à-porter se caractérise par la présence de croquis réalisés par ce créateur de mode, le mettant en scène sous forme de cartoon.
La société AZ Factory a découvert au mois de juin en 2022, que se vendaient sur un marché des vêtements très similaires voire identiques à leurs gammes « Love from Alber » et « Hearts from Alber ».
Par conséquent, la société AZ Factory a sollicité la mise en œuvre d’opérations de saisies-contrefaçon, par souci de preuve.
La défenderesse soutient que ces opérations de saisies-contrefaçon sont nulles pour différents motifs dont l’absence d’un délai raisonnable entre la signification de ces opérations et l’émission du procès-verbal de celles-ci.
Concernant les faits de contrefaçon qui lui sont allégués, la société Valeria Moda argue que AZ Factory n’avançait aucune preuve attestant de ces actes et que les articles cités dans le procès-verbal ne témoignent d’aucune ressemblance avec les créations des collections « Love from Alber » et « Hearts from Alber ».
• Un horodatage par la technologie de la blockchain
La particularité de cette affaire réside dans le fait que ces croquis et vêtements ont fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain. L’empreinte digitale de ceux-ci a été réalisée via la solution « Blockchainyour IP ».
- Le pyjama « Love from Alber » a été créé le 1er décembre 2020 et l’empreinte digitale des croquis a fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain le 5 mai 2021.
- Le pyjama « Hearts from Alber » a été créé le 30 août 2021 et l’empreinte digitale de ces croquis a fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain le 15 septembre 2021.
• La décision du tribunal judiciaire de Marseille
➮ S’agissant de la nullité du procès-verbal de la saisie-contrefaçon
Le tribunal accueille cet argument de la société Valeria Moda et prononce la nullité du procès-verbal de la saisie-contrefaçon datant du 23 novembre 2022.
En effet, tel que l’a argué la société contrefactrice, les exigences de délais n’ont pas été respectées par le demandeur lors de ces opérations de saisies-contrefaçon. Pourtant, ce moyen de preuve ne sera pas nécessaire à la condamnation de la société Valeria Moda …
➮ S’agissant des actes de contrefaçon de droits d’auteur
Le tribunal judiciaire de Marseille commence par rappeler un principe fondamental lors de l’appréciation d’un potentiel acte contrefaisant : la reprise contrefaisante s’apprécie par les ressemblances entre les deux œuvres concernées. Les juges rappellent également que la charge de la preuve pèse sur le demandeur à l’action.
Les juges débutent leur analyse par l’étude de la protection potentielle de l’œuvre première. A ce titre, le tribunal reconnait que la société AZ Factory est bien investie de droits d’auteur sur les créations « Love from Alber » et « Hearts from Alber », qui sont considérées comme originales. Les croquis et dessins réalisés par le créateur de mode mondialement reconnu traduisent de choix arbitraires échappant à toute contrainte technique.
La titularité des droits d’auteur sur ces créations est prouvée par deux constats de l’horodatage blockchain. De plus, il a été admis que les vêtements en cause sont commercialisés sous la marque AZ Factory enregistrée le 9 mars 2020 et sous la marque de l’Union européenne, semi-figurative enregistrée le 6 juillet 2020. Le tribunal souligne également que la divulgation des créations en question sous la marque AZ Factory a débuté à compter du mois de mars 2021.
C’est ainsi que le tribunal a pu constater que AZ Factory était investie de droits d’auteur sur les vêtements contrefaits.
Dans un second temps, après avoir reconnu la protection par le droit d’auteur pour les œuvres en question, les juges constatent que les vêtements litigieux sont « en tous points similaires » à ceux commercialisés par la société AZ Factory. Le tribunal constate même que ce sont des copies serviles qui sont reproduites, ne laissant planner aucun doute sur leur caractère contrefaisant. Ces vêtements identiques étaient vendus sur des différents marchés, leurs vendeurs ayant reconnu que leur fournisseur était bien la société Valeria Moda.
Par conséquent, la société Valeria Modale a commercialisé des vêtements “reprenant la combinaison originale” des créations de la société AZ Factory, ce que le tribunal reconnait comme des actes contrefaisants.
➮ S’agissant de la condamnation prononcée
La société Valeria Moda a été condamnée à verser à la société AZ Factory 11 900 euros de dommages et intérêts. Elle doit également arrêter toute fabrication, reproduction, exposition des produits contrefaisants et détruire les produits existants.
Enfin, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonné la publication d’un communiqué au sein de trois journaux ou magazines professionnels, choisis par la société AZ Factory, informant de leur condamnation pour atteinte aux droits de propriété intellectuelle de AZ Factory.
• Apport et portée
Au-delà des actes de contrefaçon condamnés par le tribunal de Marseille, ce qui rend cette décision inédite ce sont les moyens de preuve retenus pour attester de ces actes contrefaisants.
Comme précisé ci-dessus, les œuvres objet du litige ont été ancrées dans la blockchain. Ainsi, ce jugement est novateur en ce qu’il reconnait que la blockchain peut être un mode de preuve de la titularité de droits d’auteur.
Cette portée probatoire de la blockchain n’avait jamais été admise avant cette affaire. Pour la première fois, une juridiction française reconnaît la fonction d’horodatage de cette technologie et également son rôle dans l’établissement de la titularité de droits d’auteur.
En réalité, la portée de ce jugement pourrait demeurer casuistique. En effet, les juges ne se fondent pas seulement sur l’horodatage de la blockchain pour apporter la preuve des créations antérieures. Cependant, l’inverse pourrait également se produire et la blockchain pourrait devenir un véritable outil probatoire stratégique dans la digitalisation de la protection des droits de propriété intellectuelle.
[1] https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-judiciaire-de-marseille-1ere-ch-civile-jugement-du-20-mars-2025/
[2] Définition du ministère de l’Économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique https://www.economie.gouv.fr/entreprises/blockchain-definition-avantage-utilisation-application#la-cha-ne-de-blocs-blockchain-d-_0