Actualités

La protection de la forme ou de l’apparence de l’AOP Morbier : Cette leçon vaut bien un fromage…

Dans un arrêt du 14 avril 2021[1], la Cour de cassation s’est prononcée sur la protection effective de l’aspect visuel de l’AOP Morbier en raison de la reproduction non autorisée de la raie cendrée centrale et horizontale sur la tranche d’un fromage. La Société Fromagère du Livradois (ci-après la Société Fromagère), établie dans le Puy-de-Dôme, […]
Votre image

Dans un arrêt du 14 avril 2021[1], la Cour de cassation s’est prononcée sur la protection effective de l’aspect visuel de l’AOP Morbier en raison de la reproduction non autorisée de la raie cendrée centrale et horizontale sur la tranche d’un fromage.

La Société Fromagère du Livradois (ci-après la Société Fromagère), établie dans le Puy-de-Dôme, fabrique et commercialise depuis 1979, un fromage sous le nom « Morbier » caractérisé par la présence d’une raie cendrée centrale et horizontale sur la tranche.

Depuis l’entrée en vigueur d’un décret du 22 décembre 2000, le Morbier bénéficie d’une appellation d’Origine Protégée (AOC) et d’une inscription, depuis 2002, au registre des appellations d’origine protégée (AOP). Cette AOP ne peut être reconnue et utilisée que dans la zone géographique de référence et sous réserve de respecter un cahier des charges.  

Ayant été autorisée à titre transitoire, à poursuivre l’exploitation de la dénomination Morbier sans la mention AOP, c’est désormais sous le nom « Montboissié du Haut-Livradois » que la Société Fromagère fabrique et commercialise son fromage.

Mais constatant que la Société Fromagère fabriquait et commercialisait toujours son fromage en reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’AOP Morbier, le syndicat interprofessionnel de défense de l’AOP Morbier (ci-après le Syndicat) assigna la Société Fromagère en 2013 pour concurrence déloyale et parasitisme en demandant la cessation de toute pratique portant atteinte à l’AOP Morbier.

Les demandes du Syndicat ayant été rejetées par la cour d’appel, estimant que la règlementation sur les AOP ne visait pas à protéger l’apparence d’un produit et ses caractéristiques telles que décrites dans le cahier des charges, mais uniquement sa dénomination, il forma un pourvoi devant la Cour de cassation.

La Cour de cassation saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle portant sur la portée de la protection de l’AOP Morbier, à savoir ses caractéristiques visuelles et notamment sa raie cendrée centrale et horizontale sur la tranche, outre sa dénomination.

La CJUE dans le cadre de sa réponse[2], va d’une part indiquer que  « les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement (CE) n° 510/2006[3] du Conseil et du règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil[4] doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée et d’autre part […] qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée ».

La Cour de cassation va sans surprise censurer la décision de la Cour d’appel lui reprochant de ne pas avoir vérifié en l’espèce si la reprise de la raie cendrée sur la tranche du fromage par la Société Fromagère était susceptible d’induire le consommateur en erreur sur l’origine de son fromage « Montboissié » et renvoie l’affaire à la Cour d’appel de Paris.

Qu’en est-il des autres AOP fromagères ?

Il est intéressant de soulever que suite à cet éclaircissement donné par la CJUE, les défenseurs de l’AOP Roquefort ont investi les locaux de la Confédération générale à Millau le 24 janvier 2021[5], réclamant que l’entreprise « Société » retire son fromage « Bleu de brebis » des rayons du fait de sa forte similitude avec le fromage Roquefort. Peut-être qu’une nouvelle affaire est à venir entre Roquefort et Bleu de Brebis ?

En tout état de cause et comme en témoignait déjà un arrêt de la CJUE de 2008[6] opposant le Parmesan avec le Parmigiano Reggiano (AOP) dont le risque de confusion se trouvait tant dans la phonétique que dans l’esthétique[7], les duels fromagers ne sont pas nouveaux et ne semblent pas prêts de cesser.


[1] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 avril 2021, 17-25.822, Publié au bulletin

[2] CJUE, 17 décembre 2020, n°C-490/19

[3] Règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires

[4] Règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires

[5] Article de presse, LE PROGRES, Roquefort AOP. L’affaire du Morbier copié pourrait faire plier le bleu de brebis, 26 février 2021 (lien)

[6] CJCE, 26 février 2008, C-132/05

[7] CJCE, 26 février 2008, C-132/05, pt 46 : « il existe une similitude phonétique et visuelle entre les dénominations «parmesan» et «Parmigiano Reggiano», et ce dans une situation où les produits en cause sont des fromages à pâte dure, râpés ou destinés à être râpés, c’est-à-dire présentant une apparence extérieure analogue. »

Restez informé(e) avec nos actualités IP IT !

Découvrez aussi nos 9 dernières publications

Recherchez dans nos publications :

To top