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La protection des pièces détachées automobiles : une course à deux vitesses !

Dans le cadre d’un litige opposant le constructeur italien Ferrari et la société Mansory Design, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) vient répondre, le 28 octobre 2021[1], à une question préjudicielle portant sur les conditions de protection de pièces détachées de voitures à titre de dessins et modèles communautaires non enregistrés. Dans un […]
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Dans le cadre d’un litige opposant le constructeur italien Ferrari et la société Mansory Design, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) vient répondre, le 28 octobre 2021[1], à une question préjudicielle portant sur les conditions de protection de pièces détachées de voitures à titre de dessins et modèles communautaires non enregistrés.

Dans un communiqué de presse du 2 décembre 2014, Ferrari présente au public deux versions de son modèle de voiture FXX K qui se distinguent notamment par la couleur du « V » sur le capot. Pour la première version, le « V » est de couleur noire à l’exception de sa pointe basse, tandis que la seconde version le V est entièrement de couleur noire.

En 2016, à l’occasion du Salon international de l’automobile de Genève (Suisse), l’entreprise allemande Mansory Design spécialisée dans la personnalisation de voitures, présente un modèle de voiture (Ferrari 488 GTB) habillé d’un kit avant reflétant les deux versions de la Ferrari FXX K par la présence du fameux « V » dans les mêmes couleurs.

Ferrari estime que la commercialisation de ces pièces par Mansory Design, reprenant en partie son modèle Ferrari FXX K, constitue des actes de contrefaçon de plusieurs dessins ou modèles communautaires non enregistrés dont elle est titulaire et introduit donc une action en contrefaçon devant le Landgericht Düsseldorf.

Les demandes de Ferrari furent rejetées en première instance et en appel par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne).

Ferrari forma alors un recours en Révision devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).

Dans ce contexte, la Cour fédérale de justice allemande saisit la CJUE et l’interroge sur l’interprétation du règlement (CE) n° 6/2002 sur les dessins et modèles communautaires[2] et plus particulièrement sur les conditions de la protection de l’apparence d’une partie de produit, en l’occurrence l’élément en forme de « V » présent sur le modèle FXX K de Ferrari, en qualité de dessin ou de modèle communautaire non enregistré :

  • En premier lieu, la Cour fédérale demande à la CJUE si l’article 11 § 1 et § 2 du règlement no 6/2002, disposant qu’un dessin et modèle est protégé à titre de dessin et modèle communautaire non enregistré à compter de la date à laquelle il a été divulgué, s’applique également aux pièces/éléments d’un dessin et modèle, pris isolément.
  • Dans l’affirmative et en second lieu, la CJUE est interrogée sur l’appréciation du caractère individuel des pièces litigeuses et donc de leur caractère autonome par rapport au produit complexe auquel elles sont intégrées.

A cette première question, la CJUE vient rappeler que l’une des conditions d’obtention de la protection du dessin et modèle communautaire non enregistré est la divulgation de ce dernier au public[3]. Elle vient également apporter des précisions sur cette divulgation en indiquant que l’exigence selon laquelle « la représentation du dessin ou modèle ayant vocation à être enregistré doit permettre d’identifier clairement celui-ci »[4]  est applicable en matière de dessin et modèle communautaire enregistré mais est également pertinente en matière de dessins et modèles non enregistrés.

Mais plus encore, la CJUE vient tempérer cette exigence en indiquant que le règlement n’impose pas aux créateurs de divulguer de manière distincte chacune des parties des produits pour lesquelles les créateurs souhaitent bénéficier d’une protection à titre de dessin ou modèle communautaire non enregistré.

Dès lors, si Ferrari n’était pas tenu de divulguer de manière distincte les pièces dont la protection est revendiquée au moment de la présentation de son modèle de voiture FXX K, celles-ci doivent en revanche être clairement identifiables pour bénéficier de la protection.  

En second lieu, si les pièces litigieuses sont clairement identifiables, celles-ci doivent en outre respecter l’une des conditions sine qua non de la protection du dessin et modèle communautaire enregistré ou non enregistré[5], à savoir, présenter un caractère individuel. La CJUE ajoute que l’appréciation dépend de sa comparaison par rapport à un ou plusieurs dessins ou modèles « précis, individualisés, déterminés et identifiés parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement »[6].

Par ailleurs, la CJUE note qu’en l’absence de définition légale de la notion de « partie d’un produit » au sein du règlement (CE) n°6/2002, la protection des pièces litigieuses doit être appréciée à la lumière de la définition légale de « dessin ou modèle ». C’est-à-dire, en tenant compte des caractéristiques qui constituent son apparence particulière (ses lignes, ses contours, ses couleurs, ses formes ou sa texture).

En conséquence, la CJUE invite la juridiction de renvoi à 1/ déterminer si, lors de la divulgation du modèle FXX K par Ferrari, les pièces revendiquées étaient clairement identifiables et 2/ dans l’affirmative à se référer à la définition communautaire de la notion de dessin et modèle pour caractériser le caractère propre de celles-ci en examinant si les pièces de la FXX K « constituent une section visible du produit ou du produit complexe, bien délimitée par des lignes, des contours, des couleurs, des formes ou une texture particulière ».

Si cet arrêt confirme aujourd’hui que la protection des pièces détachées automobiles à titre de dessin et modèle est plutôt en faveur des constructeurs au sein de l’Union européenne, certains pays tendent à assouplir le dispositif de protection des pièces détachées automobiles. C’est ainsi qu’en France, la loi no 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets viendra libéraliser, dès le 1er janvier 2023, le marché des pièces détachées automobiles en modifiant le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles au sein du Code de la propriété intellectuelle : 

  • En matière de droit d’auteur : Dès lors qu’une pièce de réparation a été divulguée, son auteur ne peut plus interdire « La reproduction, l’utilisation et la commercialisation des pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route » (alinéa 12° article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle) ;
  • En matière de droit des dessins et modèles : un nouvel alinéa sera ajouté à l’article L.513-6 du même code qui prévoit une nouvelle catégorie d’acte pour lequel le titulaire ne peut invoquer les droits qu’ils possèdent sur ces droits antérieurs, à savoir les : « actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque au sens de l’article L. 110-1 du code de la route et qui : a) Portent sur des pièces relatives au vitrage ; b) Ou sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine ».

[1] Cour de justice de l’Union européenne, 5e ch., 28 octobre 2021, C-123/20

[2] Règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires

[3] Article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement no 6/2002

[4] Arrêt du 5 juillet 2018, Mast-Jägermeister/EUIPO, C‑217/17 P, points 54, 55 et 60

[5] Articles 6 et 11, du règlement no 6/2002

[6] Arrêt du 19 juin 2014, Karen Millen Fashions, C‑345/13, point 25

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