Par un arrêt du 10 septembre 2025[1], le Tribunal de l’Union européenne effectue un rappel relatif à l’appréciation de l’atteinte à une marque renommée et aux conditions de l’exception du juste motif pour utiliser une marque.
Le 25 juin 2008, une société italienne dépose, auprès de l’Office européenne des marques (EUIPO), une demande de marque du signe figuratif « PastaZARA », désignant des pâtes alimentaires en classe 30 de la classification de Nice.
Cependant, quelques mois plus tard, la société Industria de Diseño Textil forme une opposition à cette marque. Cette opposition se fonde sur la marque de l’Union européenne populaire « ZARA », désignant la classe 25 et notamment les produits suivants : vêtements ; chaussures ; chapellerie ; etc. La requérante fonde son opposition sur l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 du 20 décembre 1993 (remplacé désormais par le règlement (UE) 2015/2424).
La division d’opposition de l’EUIPO a considéré l’opposition formée recevable et bien fondée et a ainsi rejeté la demande de marque « PastaZARA » par une décision du 30 mai 2023. La société demanderesse forme un recours auprès de l’EUIPO contre cette décision.
La Chambre de recours rejette ce recours. En effet, elle considère que la marque antérieure jouit d’une certaine renommée, les deux marques présentent plusieurs similitudes, le public pertinent pourrait être confus et associer les marques. En outre, la Chambre de recours considère qu’il existe un risque que la marque déposée tire un profit indu de la renommée de la marque antérieure.
Le Tribunal de l’Union européenne statue sur ce litige et rend un arrêt le 10 septembre 2025, confirmant l’appréciation de la Chambre de recours concernant la renommée de la marque « ZARA ». Toutefois, le Tribunal censure le reste de l’analyse de la Chambre de recours relative à la similitude des signes et le juste motif pour l’utilisation de la demande de marque déposée.
- Sur la renommée de la marque antérieure
La société demanderesse reproche à la Chambre de recours d’avoir conclu que la marque antérieure jouissait d’une renommée à la date de dépôt de la demande de marque.
Le Tribunal de l’Union européenne rappelle que la renommée d’une marque doit être appréciée au regard de la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage et l’importance des investissements réalisés par la société détentrice de la marque en question pour la promouvoir. En outre, la marque doit être connue d’une partie significative du public concerné par les produits et/ou services visés par la marque.
Le Tribunal relève que le travail d’analyse des documents postérieurs à la date du dépôt de la marque demandée qui ont été pris en compte par la Chambre de recours traduisent d’une présence très importante de la marque « ZARA » partout dans le monde. Selon le Tribunal, la Chambre de recours a apprécié correctement la renommée la marque en s’appuyant sur des rapports annuels du groupe ZARA , des articles de presse faisant état du succès commercial de la marque, ou encore une étude de marché indiquant que la marque « ZARA » était connue de plus de 75% du public en Belgique, en Espagne, en France, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Portugal.
- Sur les signes en conflit : similitudes et éléments distinctifs
Le Tribunal de l’Union européenne considère que la Chambre de recours a commis une erreur en statuant que le terme « ZARA » était dominant au sein de la marque déposée. En effet, le Tribunal considère que les éléments constituants les signes litigieux présentent un certain degré de complexité : l’élément « ZARA » dans le signe déposé n’apparaît pas de façon isolée ou de manière particulièrement remarquable. Ainsi, après analyse, la juridiction conclut que les éléments verbaux et figuratifs du signe en conflit ne peuvent être considérés dominants.
- Sur la comparaison des signes en conflit
- Sur le plan visuel, la Chambre de recours avait conclu à un degré moyen de similitude du fait de l’élément commun « ZARA ». Toutefois, le Tribunal conclut à un faible degré de similitude.
- Sur le plan phonétique, la Chambre de recours a considéré que les signes présentaient un degré élevé de similitude phonétique. Le Tribunal tranche sur un degré moyen de similitude, du fait de la prononciation de leur élément commun « ZARA ».
- Sur le plan conceptuel, la Chambre de recours relève un degré moyen entre les marques litigieuses. Cependant, le Tribunal conclut à un degré faible de similitude.
- Sur l’existence d’un lien entre les signes
La Chambre de recours avait conclu à l’existence d’un lien entre les signes en conflit, en prenant en compte la forte renommée et le caractère distinctif de la marque antérieure « ZARA ». Cependant, le Tribunal de l’Union européenne est en désaccord avec cette analyse.
Le Tribunal souligne que « le seul fait que la marque antérieure jouit d’une grande renommée pour certaines catégories spécifiques de produits ou de services n’implique pas nécessairement l’existence d’un lien avec une marque similaire ». En effet, selon la juridiction de l’Union européenne, la Chambre de recours n’aurait pas correctement pris en compte le faible degré de proximité entre les produits de mode relevant de la classe 25, désignés par la marque « ZARA », et les pâtes alimentaires relevant de la classe 30, visées par la marque déposée.
- Sur l’existence d’un juste motif pour utiliser la marque demandée
Le Tribunal a censuré la décision de la Chambre de recours sur l’appréciation du lien entre les signes, mais la juridiction a tenu à reconnaître l’existence d’un juste motif pour utiliser la marque demandée, saisissant ainsi l’occasion de rappeler les conditions d’application de cette exception.
Moyen écarté par la Chambre de recours, la société requérante invoquait un juste motif pour l’utilisation de la marque demandée en raison de l’usage des signes comportant l’élément verbal « pastazara » pendant plusieurs années.
Le Tribunal de l’Union européenne retient que la notion de « juste motif » est conditionnée à la circonstance que l’utilisation du signe soit nécessaire pour la commercialisation des produits en question. En l’espèce, la juridiction a considéré que la conclusion de la Chambre de recours était erronée dès lors que plusieurs éléments permettaient d’établir l’existence d’un juste motif pour l’utilisation de l’élément verbal « pastazara ». Parmi ces éléments :
- l’usage par la requérante de signes comportant l’élément verbal « pastazara » antérieurement au dépôt de la marque renommée « ZARA »
- des éléments susceptibles d’attester de la bonne foi de cette utilisation antérieure
Il convient de noter que les cas d’admission de l’exception de juste motif sont assez rares. Tel que le rappelle le Tribunal de l’Union européenne, l’exception du juste motif doit être interprétée de manière restrictive, et ce, afin que le régime de protection des marques renommées conserve toute sa pertinence.
[1] https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=4B0B1F5319488ADDE1AD91BC715A502F?text=&docid=304199&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=4303606